Le journal qui retourne le couteau dans l’info

22 septembre 2023

Les vrais poujadistes

A la veille de l’élection présidentielle de 2022, les poujadistes font encore trembler la République. Christophe Weber, lauréat du prix Albert Londres, revient sur le passé nébuleux du poujadisme, le “Belphégor” de l’extrême droite française.

 

“Poujadistes”, disent-ils … pour désigner les « antivax », renvoyés dans le rayon des produits nocifs. “Poujadistes”, répètent-ils, pour qualifier les syndicats de commerçants et d’agriculteurs, souvent opposés aux normes européennes, comme ” poujadistes” auraient été les pharmaciens en colère, médecins, avocats ou encore le mouvement des « « gilets jaunes », qui s’est écroulé comme un château de carte.

 

Ces dernière années, le poujadisme est devenu l’arme qu’on dégaine pour ” dézinguer” son adversaire politique ou un mouvement dérangeant. Sur les plateaux télé, il est servi à toutes les sauces et collé à “n’importe qui”. A la manoeuvre, toujours les mêmes politiciens, chroniqueurs, journalistes – devenus “policiers de la pensée”. Mais connaissent-ils vraiment les origines du poujadisme, ce label chargé d’opprobre ? Connaissent-ils ses nouveaux héritiers ? Connaissent-ils le vrai Pierre Poujade, leur maître à penser ?

 

Ce politicien est célèbre, mais aucun travail de fond et aucune synthèse historique n’avaient été effectués pour percer sa personnalité. On sait seulement que c’était un ancien libraire-papetier, puis moniteur d’éducation physique, docker, goudronneur… Que jeune, il a perdu son père et que son père, architecte dans le Lot, avait milité avec Action Française, un mouvement d’extrême droite du début du siècle.

 

Pour le reste, certains le donnent résistant, d’autres pointent, sans détour, un passé de collabo. Qu’en est-il ? Notre enquête est formelle : où qu’on aille fouiner dans son passé, jusqu’à la fin des années 50, Poujade n’a jamais coupé le cordon avec le fascisme et le fanatisme blanc.

 

Avant la Guerre, il était comme cul et chemise avec Jacques Doriot, un fervent serviteur du Troisième Reich, qui a passé sa vie à ginginer des hanches pour aguicher Hitler, via « l’Union Populaire des Jeunesses Françaises », une filiale du « Parti Populaire Français » (PPF), qu’il dirigeait.

 

Pendant la Seconde Guerre, notre apprenti führer était devenu le miroir de la collaboration. Le cœur et l’âme offerts à la puissance hitlérienne, à une époque où les bâtiments et les rues de France étaient souillés par le chiffon nazi, à qui nous devons le film d’horreur de la « solution finale ».

 

Plus tard, il en est arrivé même jusqu’à devenir, dans le Lot, chef de compagnie des « Compagnons de France », une milice Vichyste, qui a fini dans les bras des Nazis.

 

Certes, en 1942, après l’invasion de la zone dite libre par les forces allemandes et l’opération « Anton », Poujade a tourné le dos à la collaboration et s’est engagé dans l’aviation, avec les « Forces Françaises Libres » – avant de rejoindre, en 1946, le Rassemblement du Peuple Français, parti crée par De Gaulle, après son éviction du pouvoir, la même année.

 

Mais ce « passé de résistant » n’était en fait qu’une escale, qui devait lui permettre de gommer les années peu glorieuses qu’il avait passées dans le « maquis » des collabos. Preuve, sitôt réhabilité, il quitte le Général – comme il avait « plaqué » Doriot -, après sa défaite aux élections législatives de 1951. Ce nouveau virage est bien dans le ton du personnage, qui a pris l’habitude d’évoluer dans le culte de la trahison.

 

La révolte fiscale de Saint-Céré, dans le Lot, va lui donner l’occasion de créer le mouvement poujadiste, et de relancer, avec force, l’extrême droite. C’était le 21 juillet 1953 : un contrôle fiscal de routine déclenche un tsunami dans la petite ville de Saint-Céré. Appels à la grève des impôts, appels à la désobéissance civile : en quelques jours, la révolte flambe et gagne les communes voisines. Puis la plupart des départements. Poujade, libraire dans la région, décide d’appuyer le mouvement, en prenant la tête d’un groupe de commerçant, « l’Union de Défense des Commerçants et Artisans » (UDCA), avec l’objectif de transformer la colère en révolution fiscale.

 

L’embarras de la police et des services de renseignements, qui l’ont filé et coursé, ne l’a pas empêché de monter d’un cran : moins d’un an plus tard, il bascule dans la « politique politicienne » et crée « l’Union et Fraternité Française », un parti destiné à élargir son audience – au-delà de la France des « boutiques » – pour atteindre la « France d’en bas ».

 

Sa recette ? La défense des ” petits”, contre « l’Etat vampire », l’establishment politique, qui « va à la soupe » ou encore le pouvoir « nocif » des intellectuels et les « éminence du pouvoir ». Ses assauts populistes étaient souvent teintés de xénophobie et d’antisémitisme, ce qui lui a valu l’aimable sobriquet de « Poujadolf », de la part de la classe politique de l’époque. Mais qu’importe. En orientant la colère fiscale vers la critique du système en général, il a réussi à descendre dans le cœur des laisser-pour-comptes et à devenir une figure nationale.

 

 

C’est le début du mouvement poujadiste, organisation populiste et magnétique. Avec ses 400 000 militants, déterminés, le poujadisme a fini par s’imposer comme une réalité inquiétante, dans le paysage politique. Le 24 janvier 1955, Poujade est parvenu à réunir plus de 200 000 personnes dans l’un de ses meetings à Paris. L’électro choc est devenu encore plus violent, pendant les législatives de 1956, lorsque son parti a arraché près de 2 millions de voix et 52 sièges de députés, à l’Assemblée Nationale.

 

L’un d’eux, 29 ans, grande gueule, deviendra son héritier. C’est Jean Marie Le Pen. Comme l’ensemble des députés poujadistes, moqueurs et chahuteurs, il n’avait qu’un credo : interrompre les séances parlementaires, perturber, parasiter les débats et incarner ainsi l’antiparlementarisme dans l’enceinte même du Parlement.

 

C’est là qu’il était devenu clair que le Poujadisme était un cheval de Troie au cœur de la République. Mais les électeurs ne l’avaient compris que deux ans plus tard, en 1958, avec le retour du Général au pouvoir, qui a organisé une élection législative au scrutin majoritaire.

 

Son résultat a été un Trafalgar pour le parti de Poujade, qui n’a pu conserver que deux sièges au Parlement. Dont celui de Jean Marie Le Pen. Mais les deux compères finiront par se fâcher et, à partir de 1970, leur divorce sera définitivement confirmé par la création du Front National, qui a permis à Jean Marie Le Pen de s’imposer sur la scène politique, à partir des années 80.

 

Pour autant, Le Pen n’a jamais vraiment « tué le père ». Toute sa vie politique, il est resté arrimé la doxa poujadiste, tout comme son parti, qui continue encore à incarner l’antiparlementarisme, l’antisemitisme, le racisme ou le populisme. Bref, le poujadisme.

 

Pourtant, depuis 1958, le « père » Poujade avait renoncé à ces outrances, qui avaient fait sa force et sa faiblesse. Lui qui pouvait se targuer d’un chatoyant CV d’antiparlementariste, il a fini par participer aux élections européennes de 1979, puis celles de 1984, « pour prendre la défense des classes moyennes », à travers « un scrutin hautement important », disait-il.

 

Son lifting politique s’est confirmé, en 1984, quand il est nommé – jusqu’en 1999 – membre du Conseil économique et social, par l’administration de François Mitterrand  – qu’il avait soutenu, en 1981. Enfin, à partir de 1989, il a dérapé, sans freins, vers des missions humanitaires, à travers une association en charge de la Roumanie.

 

Ses tournées dans ce pays, fraichement sorti de sa révolution, permettaient de faire venir des lycéens en France, pour présenter des spectacles folkloriques. Énorme, pour un homme qui a passé sa vie à bastonner les « apatrides », qui occupent la «  maison France ».

 

Mais que l’on ne s’y trompe pas : en dehors de cette parenthèse “gauchiste”, Poujade reste le « Belphégor » des mouvements réactionnaires français, qui a édifié une ligne Maginot de racisme et d’antisémitisme, dans le paysage politique.

 

Son fantôme continue à faire trembler la République. D’une élection à l’autre, ses idées et son legs font craindre la victoire de ses épigones. Un sentiment aggravé, ces dernières années, par la montée en puissance de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Deux tireur sur « l’égalité et la fraternité », qui sèment le racisme et la peur, sur la toile de fond d’une société assiégée par la colère sociale, la crise sanitaire et l’insécurité.

 

Un esprit obsidional qui viendra, tôt ou tard, suicider la paix sociale, au profit de cette camarilla poujadiste, qui veut faire de la France le symbole européen de la haine. Comme en 40…

Leco en image

Full Moon

Borderline est une émission du Correspondant, présentée par Tristan Delus. Cette fois, il vous emmène en mer de Chine, à la découverte de l’une des fêtes les plus folles du monde, pour la pleine lune : la Full Moon Party. Chaque mois, ils sont des milliers à s’y rendre, ils viennent de France, d’Amérique ou du Moyen Orient. Avec une seule règle : s’éclater jusqu’au lever du jour. Et sans modération !

Suivez-nous

l’instant t

La petite lampe du bagne

Une lueur d’espoir au milieu de la Guyane française – le département « maudit » où le pire ne s’interdit jamais de sévir. Une femme

Bernard Arnaud : du Dior et de l’or

Qu’il tapisse l’Autoroute du Soleil, avec des billets de 500 euros, qu’il se paye ensuite quelques jets privés, il lui restera toujours un bon paquet