Le Correspondant

Affaire Khelif : un dossier médical à la sauce algérienne(2/4)

Dans ce deuxième numéro, consacré à l’affaire Khelif, Le Correspondant publie le « dossier médical », qui a permis à la future championne de boxer pendant quatre ans, en Algérie comme à l’étranger. Que dit-il ? Que Khelif est une femme et que son bilan hormonal est normal et que tout va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Retour sur les coulisses d’un dossier bidon, fabrication maison.

 

Comme Le Correspondant l’a révélé dans notre précédent numéro : après la publication de notre enquête sur l’affaire Khelif, notre directeur a été bombardé de « remerciements » de la part de Khelif et de son entourage : insultes, menaces, intimidations. Et bien sûr, la presse locale n’a pas tardé à amplifier le tout, poussant la haine à son paroxysme.

 

Mais que Khelif réagisse ainsi, c’est prévisible. Après tout, elle a le droit de se défendre, même maladroitement. Mais que la machine se mette en marche avec la complicité de la presse officielle, voilà qui questionne. Que cachent-ils ? Pourquoi tant de zèle ? Ont-ils quelque chose à se reprocher pour en arriver à de tels excès ?

 

Plutôt que de nous vautrer dans ce vomi médiatique et politique, on a préféré remettre le couvert. La question est simple : depuis novembre dernier, les autorités ont-elles enfin décidé de freiner Khelif et ses soutiens ? Ou cherchent-elles toujours à comprendre ce qu’elle cache sous le capot : des ovaires ou des testicules ? Parce que si notre enquête a agité les services de renseignement algériens, Khelif continue de nager dans un océan de luxe, noyée sous le fric et les cadeaux.

 

Et là, on touche le summum de l’hypocrisie : alors qu’aucun combat de boxe n’a été organisé depuis les JO et que la boxe est en mode pause dans le pays, le Comité Olympique Algérien dépense sans compter : on lui offre un joli pactole pour s’entraîner au Qatar. On lui balance l’élite des entraîneurs, on lui paye des billets en première classe et, pour pimenter le tout, on lui organise de généreuses campagnes de comm’ pour soigner son image. Tout ça, alors que Donald Trump lui interdit de participer aux prochains J.O de Los Angeles, et par décret … Comment expliquer tout ça ? Qui protège Khelif ? Et surtout, pourquoi ?

 

Un Algérien, exaspéré par cette comédie, nous livre son avis : « Dans ce pays, soit tu as l’argent, soit tu as des amis puissants. Dans le cas de Khelif, elle est protégée parce que des gens haut placés sont trop mouillés pour reculer. Ils ne peuvent plus tout dévoiler maintenant, ça remettrait en cause l’honneur de l’Algérie. »

 

Après notre enquête, l’Algérie était sommée de se débarrasser de sa boxeuse et de lui retirer sa médaille d’or. À ce moment-là, Khelif avait déjà commencé à envisager une reconversion vers la boxe professionnelle, où elle n’aurait pas à rendre de comptes. L’info a fait le show des médias mais, fidèle à sa nature, Khelif a vite repris ses marques et changé d’avis. Cette fois, avec l’obsession de participer aux JO de Los Angeles. Et sa dernière sortie ? À peine croyable : elle veut tenir tête à Donald Trump, dont le pays lui a refusé un visa.

 

Le pire dans tout ça, c’est que Thomas Bach, ce grand manitou de l’Olympisme mondial, est toujours prêt à bondir sur quiconque ose ouvrir la bouche contre Khelif. Témoin sa dernière sortie dans les manchettes, pour servir son discours mille fois annoné pendant les J.O de Paris : Khelif a grandi comme une femme, donc elle doit continuer à boxer contre des filles.

 

Le message est clair : il ne veut pas de tests chromosomiques, qu’il a balayé d’un revers de la langue : le CIO se contente d’un passeport pour établir l’identité des athlètes.  A qui s’adresse le Message ? A Trump ? A la nouvelle Présidente du CIO ? Ou à la nouvelle organisation mondiale de boxe, la Worldboxing ?

 

Coïncidence ? Son président, Boris van der vorst, vient tout juste de rentrer d’Alger, où il a été reçu en grande pompe par tout le gratin du sport algérien. On l’a vu malmener la caméra, en posant aux côtés de ceux que les Algériens appellent le «  Cartel Khelif » : Kheireddine Barbari, le Secrétaire Général du Comité Olympique algérien, ou encore l’encombrant Mustpaha Berraf, le Président de l’ACNOA, la branche africaine du CIO. Ont-ils conclu un petit deal sous la table ou juste profité des délices d’un thé à la menthe ?

 

Pour l’instant, on n’en sait strictement rien. Ce qu’on sait, c’est que Boris, à peine rentré d’Algérie, a déboulé dans les manchettes pour parler du cas Khelif. Et là, il nous annonce qu’il se donne un mois pour « réfléchir ». A quoi ? Le suspens donne la chair de poule à tous ceux qui suivent cette affaire de près.

 

« Certains se demandent même s’il ne va calquer sa réponse aux pirouettes de Thomas Bach », lance R. Fezouine, ce lanceur d’alerte qui suit ce cirque de très près. « On l’a vu s’embrasser avec Berraf, et souvenons-nous que c’est ce même Berraf qui a convaincu Bach de ne pas imposer les tests chromosomiques. Pourquoi ce serait différent cette fois ? », s’interroge-t-il, malicieusement. « Depuis toujours, ajoute-il, les hautes instances de sport algériens ont tout fait pour éviter qu’un caryotype ne leur explose en pleine figure ».

 

Illustration, le cas du Dr Nacera Ammoura, médecin personnelle de Khelif – qui en a fait les frais. Une histoire à dormir debout, qui a démarré dès les premières heures de la carrière de Khelif en 2018. Et cette histoire, ce n’est pas un ragot de café. Elle n’est pas raconté par Fezouine, mais par un autre témoin : un mec qui n’est pas juste un spectateur passif, mais un type qui a trempé dans le milieu, qui a traîné dans le Centre National de la Médecine du sport (CNMS), en contact avec des athlètes de haut niveau, des médecins, des experts… bref, du gratin.

 

C’est là, dans ce microcosme, qu’il a rencontré Imane Khelif pour la première fois. Et ce qu’il a vu à l’époque ? C’était clair comme de l’eau de roche : déjà une mise en scène digne d’un feuilleton pourri, avec des magouilles à la clé.

 

« Quand elle est arrivée dans le milieu de la boxe, c’était difficile à regarder », nous confie-t-il. « Elle venait d’une famille pauvre, elle n’avait rien. Ses dents étaient dans un état catastrophique, elle n’avait même pas de survêtement décent. C’était presque touchant. Certains d’entre nous se sont cotisés pour lui acheter des chaussures et des vêtements de sport. »

 

Ce témoin, qui a suivi son parcours de près, se souvient d’un détail qui a retenu son attention bien plus que ses conditions matérielles : « Un médecin, plus attentif que les autres, a vite remarqué qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. Elle avait la poitrine plate, des poils sous les aisselles, une petite moustache… C’était trop flagrant. Ça ne collait pas, mais personne n’a rien dit ».

 

Comme si de rien n’était, on a laissé faire. Petit à petit, entre les combats et les stages, on a fini par oublier. L’important, c’était qu’elle soit là, qu’elle enchaîne les entraînements, les victoires. Tout le reste, on a balayé sous le tapis, comme si ça n’avait jamais existé. Jusqu’au jour où elle passe une visite médicale de routine. Là, c’est devenu impossible à ignorer. Le médecin découvre l’enveloppe de l’intérieur. Et, face la poitrine en 3D et à la pilosité généreuse, le toubib a voulu regarder de plus près. Il lui a demandé d’enlever son short. Et là, ca dérape : « Imane pique une crise de nerf », se souvient-il. « Elle s’est mise à hurler, menaçant de parler à son père et de porter plainte. C’était la panique, et l’on ne sait toujours pas si c’était de la peur, de la colère ou autre chose, mais ce moment, c’était l’explosion de ce qui était refoulé depuis trop longtemps ».

 

Ce médecin n’est autre que Nacera Ammoura. Le calvaire qu’elle vivra est à l’image du gâchis qu’il va suivre : « elle sera roulée dans la boue, menacée, insultée ». Mais la doc n’abandonne pas, soutenue par ses collègues de la médecine du sport, les docteurs Yahyaoui, Boutaaba et Lachi. Ensemble, ils décident de sortir ce merdier de l’ombre. Une mission. Une seule : est-elle un homme ou une femme ? XY ou XX ?

 

Le seul moyen de le savoir : lui prélever du sang et envoyer l’échantillon en France, via DHL, pour faire un caryotype. D’après notre témoin, « tout était organisé, planifié, jusqu’au moindre détail, comme le coût de l’opération, – soit 40 000 dinars, moins de 200 euros- ». Bien sûr, Khelif n’avait pas un kopeck à mettre de sa poche, tout était pris en charge par le CNMS. Et… quand on lui a proposé, c’était un niet catégorique.

 

Au lieu d’affronter la vérité et de clarifier la situation, « Khelif a préféré jouer au plus malin ». Mais là, ça ne prend plus : trop flagrant. Problème ? Le staff médical n’avait pas les moyens de l’y contraindre. Seule la Fédération algérienne de boxe avait le pouvoir de la mettre face à ses responsabilités : « Le test ou la porte ». C’est là qu’Ammoura, excédée, décide de passer à l’action et saisit sa hiérarchie. Dans un rapport de plusieurs pages à la fédération en avril 2018, elle détaille tout : le refus de se dévêtir, la menace de plainte, la crise de nerfs… Le tout encapsulé dans un seul mot : l’indiscipline, comme une stratégie calculée pour fuir la confrontation et jouer sur les failles du système.

 

Réponse ? Une convocation, pas pour Khelif, mais pour ce « méchant médecin » qui ose foutre le bordel. Amoura se retrouve dans le bureau de l’ancien directeur de la Fédération de Boxe, qui venait de « raccrocher avec le ministre qui a un message à passer ». Son message est simple et brutal : « Occupe-toi de ce qui te regarde. Si on doit choisir entre Khelif et toi, crois-moi, c’est toi qui voleras en éclats. » Et quelques temps après, la menace sera exécutée avec une efficacité glaciale. Nacera Ammoura finira par être jetée comme une vieille chaussette. Ecartée. Et Khelif ? Elle a poursuivi son tour des rings, imperturbable, jouant la championne comme si de rien n’était. Mais la question reste : comment ont-ils orchestré cette supercherie avec une telle facilité

 

« C’est d’une simplicité déconcertante », répond notre témoin, d’un ton qui frôle le sarcasme. « « Elle a juste fait une petite escale chez son médecin, et quelques jours plus tard, voilà qu’elle revient avec son précieux sésame. » Le fameux sésame ? Ce n’est pas un caryotype, pas un examen gynéco, avec des radios et toute la panoplie. Non, juste quelques mots griffonnés à la va-vite sur un bout de papier. Une ordonnance, rédigée en septembre 2018 et expédiée en deux-trois lignes. Voici la vérité qu’elle assène : « J’ai reçu ce jour, Imane Khelif. J’atteste qu’elle présente un bilan hormonal normal et qu’elle est une femme. » Fin de citation.

 

L’auteur de ce chef-d’œuvre ? Le Dr Boukhathem, endocrinologue et diabétologue, qui semble signer ses papiers aussi sérieusement qu’un marchand de tapis en fin de journée. Fait curieux : Boukhathem est installé à Tissemsilt, tandis qu’Imane se trouve à Alger. Pourquoi ce détour de 400 kilomètres ? Pour consulter un médecin dans une ville éloignée, alors qu’elle aurait pu se rendre chez n’importe quel spécialiste dans la capitale ? À moins que… Boukhathem ne soit pas juste un médecin lambda, mais plutôt un rouage dans un réseau bien huilé de complicités où chacun sait parfaitement quel rôle jouer.

 

Autre détail qui interpelle : Boukhathem, nous souffle-t-on, fait copain-copain avec Mohamed Chaoua, l’entraîneur de Khelif. Est-ce lui, Chaoua, qui a joué les intermédiaires pour faciliter les choses sans trop de complications ? Et la question qui fâche : comment la Fédération a-t-elle pu valider une ordonnance aussi légère ?

 

Le Correspondant a essayé de joindre tout ce beau monde, mais personne n’a daigné répondre. Ni l’actuelle direction de la Fédération algérienne de boxe, ni Mohamed Chaoua, toujours tranquillement installé avec ses millions de primes d’entraîneur après les Jeux Olympiques. Et bien sûr, Boukhathem, ce « médecin » version 2.0, qui distribue des caryotypes comme des tickets de métro. Silence total. L’omerta, la règle, est bien figée.

 

Une exception cependant : Ferhat Fazil. Il ne faut pas le sous-estimer. Jusqu’à l’année dernière, il était président de la Fédération de boxe algérienne. Il faisait partie intégrante de ce qu’on pourrait appeler le « cartel Khelif », avant que la future championne ne lui colle un procès pour harcèlement sexuel – qu’il a évidemment remporté.

 

Nous l’avons contacté, pour qu’il nous éclaire sur cette fameuse ordonnance qui a permis à Khelif de rester dans l’arène pendant quatre longues années, sans qu’elle n’ait jamais été inquiétée. Selon nos sources, cette ordonnance faisait partie de son arsenal. Une véritable arme qu’il dégainait à la moindre alerte. Chaque fois qu’une fédération étrangère, une boxeuse concurrente, ou même un spectateur osait remettre en question la pilosité excessive de Khelif, Fazil balançait son « joker » avec la même rengaine : « Le ministère de la Santé a signé les accords de l’OMS, donc personne n’a le droit de contester un médecin algérien. » Et bien sûr, chaque fois, Imane remontait sur le ring, triomphait, et tout le monde applaudissait comme si de rien n’était.

 

Mais ce n’est pas tout. Plus tard, lorsque l’affaire éclatera au grand jour, pendant les Jeux Olympiques, ce même système, qu’ils ont patiemment mis en place se présentera en victime. Les Algériens, pointeront alors le « complot ». Leur argument ? Khelif a boxé sans problème pendant 4 ans, ils se prétendront choqués, pris au dépourvu par la situation qu’ils ont eux-mêmes orchestrée. Et là, ils lanceront leurs cris d’offrai, feignant la surprise, face à cette réalité en carton qu’ils ont créée.

 

Aujourd’hui, Fazil est hors-jeu, mais lorsqu’on l’a interrogé sur cette fameuse ordonnance, il n’a pas hésité à sortir son discours de façade : « La fédération a validé, et la médecine algérienne est irréprochable » Pas un mot de plus : une réponse froide, sans nuances. De même lorsqu’on l’a confronté directement à la question de savoir s’il était vraiment certain que sa boxeuse était une femme, sa réaction a glacé l’air. Il n’a pas cherché à éviter la question. Evasif, il a simplement lâché : « Je n’ai pas fouiné dans ses affaires personnelles. » Le silence qui a suivi a été lourd, insupportable. Pas la moindre gêne. Juste un malaise palpable, comme un secret trop bien gardé.

 

Quand on lui a fait enfin remarquer sa responsabilité dans cette affaire, il a balayé tout ça d’un revers de main, presque comme un enfant pris la main dans le sac. « Ce n’est pas moi, » a-t-il rétorqué, la voix presque innocente. « J’ai reçu des ordres. » De qui ? Le silence est retombé, lourd et inflexible. Fazil n’en dira pas plus. Comme si tout était déjà dit…  Mais personne n’est dupe : les ordres, on s’en doute, venaient d’en haut, de très haut.

 

Plus tard, notre enquête l’a confirmé. Deux noms émergent : KheirEddine Barbari, le Secrétaire Général du Comité Olympique Algérien, et Abd Errahman Hammad, ancien vice-champion olympique de saut en hauteur, devenu ministre des Sports (pour un saut, il jumpé très haut… ). Un nom à retenir, car on n’a pas fini de le revoir.

 

En 2023, après le fiasco des Championnats du monde de boxe en New Delhi, ce même Hammad va déverser ses bobards comme des petites friandises, enrobant la déroute d’un discours creux et suffisant. C’est lui encore qui remet Khelif sur le ring, malgré des tests sanguins accablants. Juste avant les J.O de Paris en 2024, il récidive, avec une bande de poteaux, manipulant tout et tout le monde, y compris son propre Président. Nous vous en dirons davantage dans le numéro ce week-end.

 

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