Il y a quelques mois encore, l’affaire semblait entendue. Fort d’une avance confortable dans les sondages et d’un discours à la fois musclé et calibré pour flatter les inquiétudes du moment, Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur canadien, semblait destiné à succéder à Justin Trudeau. Mais les certitudes en politique ont souvent la fragilité d’un sol gelé au printemps : tout craque plus vite qu’on ne croit.
À quelques jours du scrutin, la dynamique semble avoir changé de camp. Selon les dernières enquêtes d’opinion, le Parti libéral, désormais conduit par Mark Carney, caracole autour de 43 % d’intentions de vote, cinq points devant des conservateurs relégués au rang de prétendants désenchantés.
Un retour encombrant
Il faut dire que le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a eu un effet inattendu sur la campagne canadienne. En réactivant de vives tensions commerciales et en multipliant les déclarations intempestives sur la frontière nord, le président américain a braqué les projecteurs sur le profil de Pierre Poilievre… sous un angle pour le moins peu flatteur.
Son positionnement idéologique, nourri d’un lexique populiste et d’une rhétorique volontiers clivante, rappelle à certains électeurs le voisin du Sud — ce qui, dans le contexte actuel, relève moins du compliment que du contretemps. Le surnom de « mini-Trump », naguère accepté à demi-mot, semble aujourd’hui peser comme un lest.
Un passé qui s’invite dans le présent
Élu à la tête du Parti conservateur en 2022 avec un discours centré sur « le Canada d’abord », Pierre Poilievre avait misé sur un rejet franc des politiques libérales en matière d’immigration, de climat et de gouvernance sociale. Ce positionnement lui avait alors permis de fédérer un électorat fatigué des grands équilibres centristes. Mais ce même discours, en 2025, semble résonner autrement dans une société inquiète de son voisinage immédiat.
« Les Canadiens ne veulent pas revivre ce qu’ils voient se reproduire aux États-Unis », résume sobrement David Coletto, directeur de l’institut Abacus Data.
Un exercice de distanciation difficile
Face à cette perception, Pierre Poilievre a tenté, ces dernières semaines, de se démarquer de l’image qui lui colle à la peau. Il évoque désormais son origine modeste, s’oppose publiquement à certaines positions de Donald Trump, et insiste sur son autonomie politique. « Je ne partage pas sa vision du monde », assure-t-il. Mais ces efforts tardifs peinent à dissiper les doutes, notamment dans les provinces les plus sensibles aux questions internationales.
Un adversaire à la posture rassurante
En face, Mark Carney déploie un profil à l’opposé du tumulte. Ancien gouverneur de la Banque du Canada, puis de la Banque d’Angleterre, cet homme de dossiers incarne une forme de continuité technocratique dans un monde de plus en plus agité. Son calme et son ton mesuré tranchent avec les effets de manche de son adversaire. Dans un pays qui regarde les soubresauts de Washington avec une inquiétude croissante, cette sobriété devient un atout.
Rien n’est encore acquis. L’écart reste contenu et les électeurs canadiens, prudents par tradition, réservent souvent leurs choix pour les derniers jours. Mais l’influence d’un président américain, fut-il étranger, semble cette fois peser dans les urnes bien au-delà de sa frontière.
Et si, lundi soir, c’était à Washington que se jouait une part décisive du scrutin canadien ?