Il y a ceux qui hurlent, ceux qui se taisent. Ceux qui martèlent les estrades médiatiques, et ceux qui suintent entre les boiseries d’un cabinet d’avocats, comme une fuite d’eau jamais réparée. Depuis quelques jours, le tumulte fait rage autour du député RN de Draguignan, Philippe Schreck, avocat de son état, qui s’essaie à la rhétorique pyromane avec un zèle déconcertant.
Le 31 mars dernier, Marine Le Pen est condamnée pour détournement de fonds publics. Une décision judiciaire grave, aux conséquences politiques considérables. Immédiatement, Philippe Schreck bondit sur X (ex-Twitter) et dégoupille : les trois magistrats ayant prononcé le jugement sont qualifiés de “mollahs du droit”, coupables selon lui d’avoir “supprimé la démocratie”. “On est au-delà du gouvernement des juges, mais dans la dictature des juges !”, ajoute-t-il, dans un crescendo digne d’un café du commerce en pleine émeute fiscale.
Mais Schreck ne s’arrête pas là. Le 1er avril — l’ironie du calendrier n’échappe à personne — il assume le qualificatif de “juges talibans”, accusés d’avoir “torturé le droit” et d’être “nourris par la haine”. Et comme si cela ne suffisait pas, il évoque dès le lendemain une “décision politique commanditée par le Syndicat de la magistrature”. Rien que ça. À ce stade, ce n’est plus une critique, c’est une fatwa rhétorique.
Pendant que les partis républicains s’indignent — Renaissance saisit le préfet, les communistes organisent une manifestation de soutien aux magistrats, et même des députés RN prennent leurs distances avec une élégance gênée — un acteur demeure étrangement muet : Jérôme Brunet-Debaines, le bâtonnier du barreau de Draguignan. Oui, le bâtonnier. Celui qui est censé incarner la déontologie, rappeler que la robe noire n’est pas un costume de théâtre, et que la liberté d’expression d’un avocat ne se conjugue pas avec l’appel au lynchage institutionnel.
Quand le député-Schreck transforme le « prétoire » en ring de MMA verbal, le bâtonnier s’enferme dans un silence glaçant, à ce point qu’il a fait bondir le Conseil National des Barreaux – qui a pris position par communiqué – et les avocats de Draguignan, qui se sont déplacés, en nombre, sur les marches du Palais de Justice, pour manifester leur soutien aux magistrats.
On pourrait presque se surprendre à imaginer que le bâtonnier se soit retiré dans son coin, méditant une réponse cinglante, une lettre ouverte, tranchée et définitive. Mais non. Rien. Pas de communiqué, pas de déclaration, ni même un simple rappel à l’ordre – bien que cette mesure, symbolique, ne ferait que renforcer la mollesse éthique qui imprègne ce silence abyssal. A croire qu’à Draguignan, le déontologie se négocie à la carte.
Il faut dire qu’un détail rend la posture du bâtonnier particulièrement embarrassante dans cette affaire : couvrir un avocat-député pris en flagrance verbale, c’est déjà flirter dangereusement avec la faute morale – déontologique ? Mais l’assigner devant la commission de discipline, c’est autre chose : c’est s’exposer, politiquement, et offrir sa toge en cible à la toute puissante extrême droite locale. Et cela, l’élu Schreck le sait. Mieux : il semble s’en nourrir.
Mais une autre question, tenace, est encore plus embarrassante : qu’adviendrait-il d’un simple avocat, sans écharpe ni carnet d’adresses, s’il osait les mêmes propos, publiquement, micro ouvert ? Il serait convoqué dans l’heure. Jugé. Sanctionné. Pour l’exemple ».
Tout le monde à Draguignan se souvient de ce jeune avocat, mis à pied par la commission de discipline pour des faits bien moins tonitruants — avant d’être gracié. Un certain Philippe Schreck, précisément. Depuis, il a pris du galon. Le voilà député. Et de l’ordalie à l’immunité, il n’y a parfois qu’un silence.