Une lueur d’espoir au milieu de la Guyane française – le département « maudit » où le pire ne s’interdit jamais de sévir. Une femme et un homme ont décidé de s’attaquer à la pauvreté et aux discriminations, tout en faisant un véritable geste artistique. Leur travail ? Former, entre autres, des jeunes noirs Marrons aux arts et aux techniques de la scène.
Ils s’appellent Kimmy, Amiemba, Belisong ou Kwadjanie… Ils jouent leur propre histoire : une pièce de théâtre sur les descendants d’esclaves, qui ont fui les plantations et les machettes de leur maître pour vivre libres.
Les voilà … Adultes ou ados, ils se donnent à fond, pour mettre en relief toutes les « plaies » de la Guyane, département français coincé entre le Brésil et le Suriname. Là où le racisme et la misère époumonent encore des pans entiers de la population noire.
Tous reviennent de loin : les uns étaient chômeurs, beaucoup sont d’anciens délinquants, récemment sortis de prison ou en période de probation judiciaire.
Rozenal est un survivant. Né en Suriname pendant la guerre civile (1986-1992), il est arrivé en Guyane à l’âge de 8 ans, avec son oncle mécanicien.
A l’époque, il n’avait rien, ni maison, ni papier d’identité. Seulement un carnet de vaccination qui justifiait de son état de santé, sans pour autant lui permettre de s’inscrire dans une école.
Aujourd’hui, il parle sa langue maternelle, bien sûr, le saramaka, mais également le takitaki – la langue commune à tous les Bushinenge – et aussi le créole et le français.
Ironie de l’histoire : c’est au tristement célèbre bagne de Guyane qu’il a découvert les Lettres. Grâce à deux bonnes âmes : Ewlyne Guillaume, 65 ans, et Serge Abattuci, 53 ans.
L’une et l’autre sont d’origine martiniquaise. L’une réalise des traductions du théâtre russe, l’autre a plusieurs cordes à son arc : metteur en scène, acteur sur scène comme à l’écran et spécialiste du répertoire caribéen. Tous deux se sont retrouvés, il y a une dizaine d’années, sur les bords du fleuve Maroni.
Révoltés par la misère et le racisme qui mitraillent les minorités ethniques, ils créent, en 1990, « Les Tréteaux du Maroni » – un festival où se mêlent les identités culturelles du monde -, puis, en 2001, ils fondent la compagnie KS and Co et ils se « posent », en 2003, en Guyane.
C’est là, à Saint-Laurent du Maroni, qu’ils deviennent une scène nationale conventionnée. Là, encore, qu’ils décident d’installer leur théâtre dans la case de bagnard N°8 du Camp de la Transportation, puis dans la case N°9, où les forçats étaient parqués avant d’être livrés aux argousins.
Le chantier était titanesque, les moyens manquaient et le challenge frôlait le phénoménal : comment transformer un lieu de souffrance en lieu de culture, comment construire un projet susceptible de tordre le cou au chômage, à la délinquance et au racisme, qui ravagent encore aujourd’hui la communauté Marron ?
Une idée : ils bâtissent un théâtre sans murs ( un pied-de-nez à l’histoire ) et, pour mettre en valeur le tiroir multiculturel de la région – riches en chants, danses, littérature, contes ou sculptures – ils décident de lui adosser une école de formations aux métiers des arts de la scène.
Son nom ne s’invente pas : Kololampoe (« petite lampe à pétrole » en bushinenge), n’a pas traîné des guêtres pour s’agrandir. Depuis 2012, il devient partenaire de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Spectacle et du Centre de Formation Professionnelle aux Techniques du Spectacle de Bagnolet.
Son volet formation – destiné aux jeunes Guyanais de 16 à 30 ans – s’ouvre sur la profession de comédiens ou de techniciens et ses élèves rayonnent partout – en Guyane comme en Métropole – certains investissent régulièrement au festival de théâtre d’Avignon ou à la Cartoucherie de Vincennes, pour explorer les différentes facettes de leurs cultures : créoles, asiatiques, européennes ….
Récemment encore, l’une de leur pièce a reçu le patronage de la commission française pour l’UNESCO : une première pour un spectacle vivant et certainement pas la dernière pour les brillants artistes de Kololampoe.
Kololampoe, cette petite lampe du bagne, qui continue à nous éclairer sur le passé, le présent et le futur de la « jungle » amazonienne.
Francois Xavier Guillerm,
avec François Dubreuil