Militante politique, accusée de « complots contre l’Etat » et « d’atteinte à l’unité nationale », Kamira Nait Sid vient d’être condamnée à 2 ans de prison ferme, par un tribunal algérien. L’ONU rappelle l’Algérie à l’ordre et le Congrès Mondial Amazigh, dont elle était la co-présidente, avant son incarcération, en 2021, dénonce une “condamnation arbitraire”, dépourvue de “fondement juridique”. Communiqué.
« Kamira Nait Sid, Amazighe-Kabyle, est une militante depuis son plus jeune âge, des droits des humains et particulièrement des droits des femmes Kabyles et Amazighes.
Soucieuse de tisser des liens de solidarité avec des réseaux internationaux de défenseurs des droits des femmes, elle a rejoint l’ONG Congrès Mondial Amazigh (CMA) en 2005.
En 2015, elle a bénéficié d’une bourse d’études des Nations Unies pour une formation à Genève dans le domaine des droits humains. Elle a été élue présidente du CMA lors du congrès tenu au mois de juillet 2015 à Agadir (Maroc).
Elle a été réélue coprésidente du Congrès Mondial Amazigh en 2018 à Tunis. Dans ce cadre, elle a participé à un grand nombre de conférences et de rencontres internationales sur le thème des droits de l’homme et des peuples, ainsi que sur la problématique du changement climatique.
Kamira Nait Sid a été victime d’intimidations et de harcèlements policiers, judiciaires et administratifs, qui n’ont jamais cessé, particulièrement depuis qu’elle est membre du Congrès Mondial Amazigh.
Elle a été arrêtée et placée en garde à vue des dizaines de fois, et a subi des tracasseries policières à l’aéroport d’Alger à chacune de ses entrées et sorties du pays.
Tous ses projets professionnels ont été entravés, bloqués ou interdits par l’administration algérienne afin de la priver de toute source de revenus.
Le 24/08/2021, elle a été enlevée dans la rue, à Draa-Ben-Khedda, près de la ville de Tizi-Wezzu en Kabylie, par des agents des services de sécurité algériens.
Elle a été gardée au secret pendant 7 jours puis présentée devant le juge d’instruction du Tribunal de Sidi-M’hamed d’Alger le 1/09/2021. Le juge l’a immédiatement placée en détention provisoire à la prison de Koléa, à 50 km au sud-ouest d’Alger où elle est toujours détenue.
Au sein de la prison, elle est placée dans une cellule avec des femmes déjà condamnées et dont plusieurs appartiennent au mouvement islamiste Daech.
Cela est contraire à la jurisprudence et constitue une forme de torture psychologique pour Kamira Nait Sid, dont les valeurs morales et philosophiques sont aux antipodes du projet des islamistes. Elle était poursuivie pour huit « crimes et délits » qui sont les suivants :
I- Crimes
– Adhésion et participation à une organisation terroriste (article 87 bis du code pénal),
– Incitation et apologie des actes subversifs et du terrorisme (article 87 bis et suivants du code pénal), – Crime à l’aide des technologies de l’information et de la communication (article 87 bis du code pénal), – Complot ayant pour but le crime (article 85 du code pénal).
II-Délits
– Réception de fonds pour accomplir ou inciter à accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’Etat, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions (article 95 bis du code pénal), – Complot et atteinte contre l’autorité de l’Etat et l’intégrité du territoire national (articles 77 et 79 du code pénal),
– Incitation à attroupement (article 98 et 100 du code pénal),
– Discrimination et discours de haine (article 31-1 de la loi 20-05 du 28/04/2020 relative à la prévention et la lutte contre toute forme de discrimination et le discours de haine). Les peines encourues varient d’un emprisonnement de cinq ans minimum à la peine de mort.
Suite à la plainte déposée par le Congrès Mondial Amazigh et l’ONG Riposte Internationale, le Groupe de Travail de l’ONU sur la détention arbitraire a rendu le 1er avril 2022, l’avis n° 15/2022, référencé HRC/WGAD/2022/15, selon lequel la détention de Kamira Nait Sid est arbitraire.
Il a par conséquent, il demandé au gouvernement algérien de la libérer immédiatement. Voici les conclusions résumées du Groupe de Travail de l’ONU sur la Détention Arbitraire :
1. Mme Nait Sid a été enlevée et séquestrée par des agents de l’Etat algérien, ce qui constitue «une forme particulièrement grave de détention arbitraire».
2. Les activités de défense des droits des Amazighs menées par Mme Nait Sid, sont protégées par le droit à la liberté d’expression garanti par l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et par l’article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques, et que l’intéressée a été placée en détention pour avoir pacifiquement exercé ce droit,
3. En sa qualité de coprésidente du CMA, Mme Nait Sid exerçait pacifiquement le droit à la liberté d’association garanti à l’article 20 de la DUDH et l’article 22 du Pacte international sur les droits civils et politiques, et elle a été arrêtée pour cette raison.
Et notamment pour s’être pacifiquement employée à défendre son droit et celui des autres membres de la communauté amazighe d’avoir leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d’employer leur propre langue, garanti à l’article 27 du Pacte.
4. Le Gouvernement algérien ne fait état d’aucune activité menée par Mme Nait Sid pouvant être considérée comme constitutive d’un acte de terrorisme. En l’absence d’informations démontrant son implication dans des actes de violence, aucun motif légitime ne justifie que l’exercice de ses libertés soit restreint.
5. Le Gouvernement n’explique pas en quoi il était nécessaire de poursuivre Mme Nait Sid en justice pour protéger un intérêt légitime ou en quoi l’accuser de graves crimes terroristes passibles de longues peines d’emprisonnement était une réaction proportionnée aux activités reprochées.
En outre, rien ne prouve que le comportement ou les activités de Mme Nait Sid pouvaient être considérés comme une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou la réputation d’autrui.
Le Gouvernement ne mentionne expressément aucun acte de terrorisme commis par Mme Nait Sid. Le Groupe de travail en déduit que l’intéressée a été arrêtée et placée en détention parce qu’elle est membre de la communauté amazighe et qu’elle défend les droits de celle-ci.
6. Mme Nait Sid est détenue pour avoir exercé les droits consacrés aux articles 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux articles 19, 22 et 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques et que sa privation de liberté est contraire aux dispositions de l’article 7 de la DUDH et de l’article 26 du Pacte. L’arrestation et la détention de Mme Nait Sid sont dénuées de fondement juridique et sont donc arbitraires.
7. Mme Nait Sid est privée de liberté pour des motifs discriminatoires, à savoir son origine nationale, ethnique ou sociale et sa qualité de défenseuse des droits humains, en violation des articles 2 et 7 de la DUDH et des articles 2 et 26 du Pacte sur les droits civils et politiques. En conséquence, aucun procès concernant Mme Nait Sid ne devrait avoir lieu.
8. Le Gouvernement algérien doit procéder immédiatement et sans condition à la libération de Mme Nait Sid, arbitrairement privée de liberté depuis le 24 août 2021, et veiller à ce qu’elle reçoive les soins médicaux nécessaires.
Le Gouvernement doit également lui accorder le droit d’obtenir réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation, conformément au droit international.
9. Le Gouvernement algérien doit veiller à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de Mme Nait Sid, et de prendre les mesures qui s’imposent contre les responsables de la violation de ses droits.
10. Le Groupe de travail demande au Gouvernement algérien d’user de tous les moyens à sa disposition pour diffuser le présent avis aussi largement que possible.
Le Gouvernement algérien n’a donné aucune suite aux injonctions du Groupe de Travail de l’ONU sur la détention arbitraire.
Le 15 décembre 2022, Kamira Nait Sid a été présentée devant le juge du tribunal criminel de Sidi-M’hamed d’Alger qui l’a acquittée pour toutes les accusations de crimes ainsi que pour le délit de « réception de fonds ».
Il l’a déclarée coupable et l’a condamnée à cinq ans de prison ferme et cent mille Dinars d’amende pour les délits de « complot et atteinte à l’autorité de l’État, incitation à attroupement et discriminations et discours de haine ».
Les avocats ont relevé de nombreuses irrégularités telles que la non prise en considération par le juge de l’avis du Groupe de Travail de l’ONU sur la détention arbitraire, la non prise en considération des actes illégaux d’enlèvement et séquestration de Kamira Nait Sid, perpétrés par des agents des services de sécurité algériens, l’absence de preuves concernant les faits reprochés à la prévenue, les accusations pour des faits antérieurs à la loi, l’instruction du dossier uniquement à charge, le non respect de la présomption d’innocence, des accusations sur la base de l’article 87 bis du code pénal jugé anti-constitutionnel et maintes fois dénoncé par les organes pertinents de l’ONU, l’interdiction de parler en langue amazighe pendant les audiences alors que Tamazight est langue officielle, etc.
Les avocats de Mme Nait Sid ont fait appel de ce jugement. La date du procès en appel n’est pas encore connue. Kamira Nait Sid a été convoquée une deuxième fois devant le juge du Tribunal de Dar-El-Beida à Alger le 1 er mars 2023 dans le cadre d’un « deuxième dossier » comprenant des chefs d’inculpation pour lesquels elle a été pourtant acquittée lors du procès du 15 décembre 2022, à savoir « attentat dans le but de porter atteinte à l’intégrité de territoire national » (article 77 du code pénal) et « direction et organisation d’un mouvement insurrectionnel » (article 90 du code pénal).
Cela revient à rejuger Kamira Nait Sid pour des motifs déjà jugés et pour lesquels elle a été déclarée innocente. Or la loi algérienne (article 6 du code de procédure pénale) stipule qu’aucune personne acquittée légalement ne peut être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une autre qualification » et la loi internationale (article 14-7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) précise que « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné.
En conséquence, Mme Nait Sid n’a pas à être jugée dans le cadre de ce prétendu « deuxième dossier » imaginé comme le premier, dans les officines de la police politique algérienne. La justice algérienne ne respecte ni les lois du pays ni les lois internationales ratifiées par l’État algérien.
Le 7 mars 2023, le tribunal de Dar-El-Beida d’Alger a condamné Kamira Nait Sid à 2 ans de prison ferme et 50.000 Dinars d’amende.
Elle a été déclarée coupable d’« atteinte à l’unité nationale » et pour ses liens présumés avec le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), un mouvement politique né en 2001 en Kabylie, qui a toujours agi de manière pacifique et dont les activités étaient tolérées par les autorités algériennes jusqu’en 2020.
En mai 2021, le gouvernement a subitement décidé de classer le MAK comme « organisation terroriste » et a utilisé ce prétexte pour mettre en place une vaste et brutale opération de chasse non seulement aux membres et sympathisants du MAK mais aussi à tous les Kabyles qui défendent leurs droits notamment socioculturels ou qui ne manifestent pas leur adhésion à la politique gouvernementale.
Durant leurs plaidoiries, les avocats de la défense ont relevé de nombreuses irrégularités comme l’absence de preuves matérielles, les violations des procédures de justice, les violations des lois nationales et des conventions internationales, les accusations sans base légale et l’interdiction de s’exprimer durant les audiences en langue amazighe pourtant langue officielle en Algérie.
Par ailleurs le juge n’a tenu aucunement compte ni de la plainte contre l’enlèvement de Kamira Nait Sid le 24 août 2021 et sa séquestration par la police algérienne pendant 7 jours, ni de la décision de l’ONU qui a qualifié sa détention d’arbitraire et a demandé sa libération (1/04/2022).
En revanche, le juge a reproché à la prévenue sa présence à la visioconférence du Président du MAK à l’université de Tizi-Wezzu en 2019, en compagnie de 800 autres personnes. Cela n’est qu’un exemple du caractère farfelu des accusations et de la vacuité du dossier accusateur.
Il apparait donc clairement que les juges ne tiennent pas compte du droit mais appliquent une feuille de route dictée par le pouvoir militaire algérien qui veut punir la Kabylie pour sa résistance à son système raciste et dictatorial.
Aujourd’hui, l’arbitraire est tel que n’importe qui peut s’attendre à être brutalement arrêté dans la rue, sur son lieu de travail ou à son domicile.
Des centaines de Kabyles sont en prison, dont une cinquantaine de condamnés à mort, d’autres sont recherchés, d’autres sont menacés, d’autres sont sous contrôle judiciaire ou d’autres formes de surveillance, et d’autres encore sont interdits de sortie d’Algérie, hors de toute procédure de justice.
Les Kabyles de la diaspora ne peuvent pas rentrer dans leur pays de peur d’être arrêtés dès leur arrivée à l’aéroport. Les uns sont condamnés à l’intérieur, les autres sont condamnés à l’extérieur, arbitrairement.
Aux souffrances infligées aux détenus, s’ajoutent celles infligées à leurs familles. Ainsi, Nna Nouara, la mère de Kamira Nait Sid, âgée de plus de 80 ans, survit entre le désarroi et le chagrin.
Cela fait près de 18 mois qu’elle est trimbalée de parloir de prison en tribunal pour voire sa fille quelques minutes. Nna Nouara a d’autant plus de peine qu’elle sait que sa fille n’a fait aucun mal et que sa détention est absurde et hautement injuste.
Elle espère seulement et nous espérons avec elle que Kamira ainsi que tous les autres détenus politiques retrouveront vite la liberté et qu’un jour, une vraie justice punira les acteurs et les responsables de cette tragédie.
CMA.
( Email : congres.mondial.amazigh@wanadoo.fr Web : www.congres-mondial-amazigh.org » )