Au début, on lui a servi le festin de Calypso. A la fin, une chorba à la grimace. Voilà ce qui est arrivé au sélectionneur de l’équipe nationale algérienne, Djamel Belmadi, passé du « ministre du bonheur », clamé et adulé par la foule, à l’ennemi public numéro 1, traité avec morgue et mépris par les Algériens et la presse locale.
Son erreur ? Une élimination en phase de poules de la CAN 2023, en Côte d’Ivoire, sur un but encaissé en première période, qui a transpercé les cages de son (ange) gardien, fraîchement recruté. C’est la deuxième raclée du genre, deux fois de suite en moins de deux ans.
Mais, cette fois, un nul aurait permis aux Algériens d’accéder au Graal des 8es de finale. Or, aucun des coéquipiers de Ryadh Mehrez n’a réussi à faire bouger les lignes. Nonchalants et peu précis, ils se sont pris les pieds dans la pelouse du Stade de la Paix à Abidjan, sortant de la compétition comme ils sont entrés : sans talent.
La rencontre calamiteuse a sidéré l’ensemble des Algériens et déchainé la presse. Un seul coupable est pointé du doigt : Djamel Belmadi, l’entraineur. Au cri de « Belmadi dehors », une foule d’une dizaine de supporters avait envahi les vestiaires où se trouvaient le staff et l’équipe. Dans la soirée, d’autres ont pris d’assaut son hôtel, prêts à en découdre.
On a vu les images sur les réseaux sociaux montrant la team algérienne filer par la porte dérobée, pour échapper au lynchage. Et depuis cette incursion, Belmadi est roulé dans la boue par les internautes, qui le traitent de « sélectionneur sulfureux », qui le soupçonnent de « rouler pour le régime », qui ne voient en lui qu’un “incompétent capable de vendre la lune pour conserver son salaire”. Soit 208 000 euros par mois, le plus grand salaire jamais versé par une équipe africaine.
Bien sûr, le sélectionneur à essayé de marmonner une explication en conférence de presse, mais “au lieu de faire son mea-culpa et de reconnaitre sa terrible incompétence, il a enchaîné les écarts », s’offusque un membre de la Fédération algérienne du football (FAF), qui le traite “ d’hystérique” !
Illustration : sa réaction hors-sol devant les questions d’un journaliste algérien, du titre en ligne DzFoot, qui lui a rappelé, avec beaucoup de pincettes, la nécessité de poser un bon diagnostic “après ses deux échecs” en CAN. Il se redresse, tape du poing sur la table et se lance dans des explications complotistes, mille fois ânonnées ces dernières années : il accuse le jeune reporter « d’être en mission », puis pointe l’arbitrage corrompu et la pelouse défectueuse.
Pis. Mais alors que tout plaide contre lui, qu’il vient de se faire sortir par l’oeilleton de la porte par la Mauritanie (l’une des équipe les plus faibles de la compétition), Belmadi, d’une austérité monacale, n’a pas présenté ses excuses aux supporters. Il n’a pas démissionné, il n’a pas rassuré, ni promis d’aller de l’avant ou, à minima, fait le bilan des erreurs commises durant la rencontre.
Hautain, évasif, autoritaire, « il a répété que c’est de la faute à l’autre, pas à lui, et il est allé même remis la faute sur les conditions climatiques de son hôtel pas climatisé ». Bref, il a fait du « Belmadi en puissance », sauf que cette fois, la pilule a du mal à passer dans la société algérienne, encore moins au sein de l’état major de la Fédération algérienne de football. D’autant plus que la FAF a pris la décision de se défaire de son sélectionneur bien avant la CAN.
Le deal imaginé dans les alcôves prévoyait 3 mois d’indemnités pour l’ensemble du staff technique – soit 660 000 euros pour le sélectionneur… Il est le fruit des cogitations entre Walid Saadi, le Président de la FAF, et les hauts responsables militaires, convaincus que leur chouchou d’entraineur allait partir sans faire de noises. Seul bémol : après avoir effectivement accepté, puis chipoté, Belmadi a fini par se rétracter, demandant « un temps de réflexion ».
Depuis lors, rien ne va. La presse se déchaîne, les supporters s’agitent et les rumeurs courent : on dit qu’il a tourné ses babouches et disparu des radars. On dit aussi qu’il est parti au Qatar et que la Fédération lui a interdit de s’exprimer dans la presse. On dit, enfin, qu’il est prêt à aiguiser ses couteaux, déterminé à convaincre la FAF de lui verser jusqu’au dernier centime prévu dans leur accord. Manquait juste ce à quoi les Algériens s’attendaient : que la Fédération le provoque et déclenche un blocage. Elle l’a fait, le 30 janvier dernier.
A travers un communiqué au vitriol, elle lui a taillé un joli costard, enchaînant les piques : « La FAF a enregistré avec regret et déception le parcours de l’équipe nationale peu glorieux, en deçà des attentes du peuple algérien ». Ou encore : « Au regard des moyens et conditions matérielles mis à disposition par l’État et la Fédération algérienne de football, il était légitime d’en attendre, en retour, des prestations d’une toute autre stature ».
Réponse d’un Belmadi, excédé de ce retournement de l’histoire scénarisé par la Fédération : il dit que l’équipe nationale “avait remporté la Can en 2019, gagné 30 matchs consécutifs, ce qui a fait des Fennecs l’une des 4 premières équipes du continent”. Il dit aussi qu’il ne veut pas faire de noises, que ce n’est pas une question de fric, mais qu’il souhaite prolonger son contrat, jusqu’à la prochaine coupe du monde.
Ce « bilinguisme » laisse pantois, il n’en demeure pas moins que, dans ses intentions, il veut la totalité du pactole. Combien ? Ceux qui ont jeté un oeil sur son contrat parlent d’un million d’euro. Tandis que la rumeur évoque un tout petit astérix, qui aurait été ajouté en bas de page et rehaussé le montant de son « butin ».
Bien sûr, dans ce feuilleton tragi-comique, les autorités du pays ne sont pas restées dans leur caserne. Non pour éteindre la polémique, mais pour tirer leur épingle du jeu … boiteux des Verts. Elles ont mis la bride sur le ministre de la communication, Mohammed Laagad, pour percoler le message.
Dans un phrasé dont il a le secret, le ministre a vu un lien entre ces combats de coqs sportifs et une « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Taillant une saillante Djellaba de provocateurs aux “journalistes qui nourriraient la polémique ».
Voilà ce qu’il a dit, sérieux : « Quand on fait d’une défaite sportive une affaire nationale, on divise les citoyens et on atteint leur moral, c’est la sécurité nationale qui est visée incontestablement ».
Mais, dans son speech, l’obscur ministre n’en est pas resté là. En bon maître de la récup. politique, il a fini par donner l’ordre aux directeurs de journaux d’apporter quelques retouches à la réglementation et de virer tous les journalistes non encartés. Et qu’importe qu’ils aient le talent d’Albert Londres ou de Paul Morand, ils deviennent “tricards”, dès lors où ils n’ont pas été formés (formatés ?), à l’école du journalisme d’Alger. Mais, on s’en doute, son intention est de protéger la fameuse « unité de la Nation » et surtout pas de “rétrécir les libertés” !
Qui se demande, dans cette ambiance de démence officielle, pourquoi la Fédération s’époumone à trouver son nouveau sélectionneur, en dépit des sueurs chaudes versées par son Président ? Certainement pas Walid Saadi qui l’a expérimenté à ses dépens. Lancé dans un road-trip planétaire, pour débusquer son homme, il a tenté d’aguicher Hervé Renard, fait les yeux de Chimène à Vahid Halilhodzik, proposé des liasses sans élastique à Zinedine Zidane … Mais aucun de ces sélectionneurs de renom n’a accepté d’apposer sa signature en bas de page.
La raison est toujours la même : la dictature militaire qui gouverne le pays est capable de tous coups de force liberticides : faire et défaire les chefs d’entreprise, rompre les contrats sans raison, lancer des mandats d’arrêt bidons et, dans le secteur foot, imposer leur propres attaquants… recrutés, non suivant leur talent, mais en fonction de leur proximité avec les haut dignitaires militaires.
C’est un mal national, si pathogène que les Algériens lui ont donné un nom : la « militarocratie ». Soit le nombre d’étoiles imprimées sur les épaules d’un proche : le« gun » qu’il faut posséder pour intégrer n’importe quel club, n’importe quelle place, en fixant soi-même son salaire. Bien loin de la méritocratie Singapourienne !
Longtemps, Belmadi aurait « navigué » dans ce jeu de dupes. Il a recruté 16 joueurs de la région Ouest, à l’origine de l’ancien président déchu, Abd El Aziz Bouteflika. Certains n’ont ni talent ni “talonnade”. Et l’on s’étonne pourquoi, dans un pays où c’est le clan présidentiel qui choisit ses joueurs, l’équipe nationale patauge dans ses crampons. Et, comble de l’hypocrisie, l’on s’étonne encore plus de l’imperfection de Djamel Belmadi.
Il était lui-même de l’ouest du pays et un privilégié du système. Son poste à la tête de la sélection algérienne devait permettre aux “siens” de profiter du flux des euros, remplir son propre compte en banque et maintenir la fiction d’une équipe nationale performante. Qui vient de partir en vrille en Côte d’Ivoire, avec l’humiliante défaite contre la Mauritanie.
Cette affaire de démission lui permettra de racler le fond des fonds de tiroirs, avant de laisser la place un super nouveau sélectionneur. Celui qui acceptera d’adouber de son nom cette mafia politico-sportive qui fait les poches de la FAF. Leur mission n’aura qu’un but : acheter les journalistes, obtenir la fidélité du sélectionneurs, placer “les fils et filles de… “, pomper le budget de l’Etat et continuer à doper le peuple à l’opium du foot.
Tout un rituel !